Michel Brugerolles
A vingt ans, pendant mes études à l’Ecole des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, j’ai rencontré l’univers de la gravure.
Mes dispositions d’alors m’orientaient plutôt vers la peinture et la décoration plane, c’est à dire, vers les jeux de couleurs. Pourtant, j’optais en second cycle pour la spécialisation : gravure. A l’époque, le modeste atelier de gravure de l’école était dans une pièce aveugle où se trouvait un escalier condamné. C’était sombre, sans fenêtre. Je construisis avec des planches une cabane sous l’escalier, un mini atelier personnel. Il y régnait, une atmosphère de caverne d’une grande intimité, une ostensible liberté. Le professeur responsable de cet atelier (Alain Brayer) n’était pas un technicien mais disposait d’une large culture et savait mettre en relation nos premiers travaux avec la littérature, la musique, le cinéma. Ces lieux étroits et mystérieux, plein d’odeurs, vivaient selon des codes de déplacements, ses rituels, une « liturgie » sécurisante spécifique à l’imprimerie. J’étais bien.
***
Michel Brugerolles © Atelier
J’ai toujours défendu la posture qui consiste à penser que le dessin est un processus mental indispensable pour comprendre, esquisser et concevoir les projets artistiques. J’allais, en complément d’apprentissage, aux cours du soir, pour me perfectionner et dessiner encore et encore sous les directives d’un professeur à la pédagogie rigoureuse (Paul Eychart). Avec ces deux formateurs singuliers et accomplis s’opéra une équation évidente qui « fixa » mon engagement pour la gravure.
Je passais mon diplôme national de gravure (1969).
Admis à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris (Atelier Coutaud) je fréquentais assidûment les galeries de gravures du quartier Latin. J’étais attiré par les surréalistes belges et français, les romantiques allemands, l’école de Vienne, je développais avec énergie et conviction une production d’images fantastiques qui s’affirma pendant mes deux années passées au titre de pensionnaire de La Casa Velázquez à Madrid. Je fut nommé par le critique d’art Michel Radom parmi « les graveurs visionnaires de Paris » des années soixante-dix.
***
Au bout de ce chemin (1966/1976) qui utilisait de manière systématique des processus proches des collages de Max Ernst ou de Prévert je décidais de changer d’itinéraire artistique.
***
"Libres Impressions" 2014 © MARQ Clermont-Ferrand
Ma nomination comme enseignant dans mon ancienne école des Beaux-Arts m’aida beaucoup dans la mesure où je devais à des fins pédagogiques élargir mes connaissances des champs esthétiques. Nous étions en pleine période « support/surface ». En réaction au discours dominant, fidèle à ma position sur l’usage fondamental du dessin je me cramponnais dans une démarche essentiellement figurative. Ainsi, pendant cinq ans, je réalisais des dessins de grandes tailles, aux crayons de couleurs, à partir de notes et d’esquisses documentaires faites in situ, des dessins de cabanes de jardins. Ces cabanes, faites de bric et de broc avaient une familiarité étrangement proche du collage. Je trouvais mes modèles à proximité de mon habitation ou sur les lieux de vacances. Je sentais la destruction prochaine de ces objets rustiques face à l’urbanisation. Je dessinais en ethnologue avec précision. Cette production fut charnière.
***
Sur une de ces cabanes de jardins j’observais un petit avion en bois en guise de girouette.
Simultanément, j’achetais aux puces une série d’avions / jouets.
De ce potentiel poétique se dégagea mon corpus thématique susceptible de correspondre à mes désirs de monde imaginaire, d’offres techniques, de ludisme.
Nous sommes dans les années quatre-vingts.
Ma » marque » s’imposa : un petit avion au dessus d’une maison.
***
M. Brugerolles © 1988 "Figure simple" Eau-Forte sur cuivre 32,5x24 cm
En face de chez moi, sur un terrain vague, se trouvait un cognassier. J’étais fasciné par l’aspect et l’odeur de ses fruits (un souvenir d’enfance). J’allais donc cueillir ces fruits et, comme pour en conserver la mémoire, je me mis à les dessiner puis, à les graver : « gravure aux quatre coins », « Coing coing »… Conséquemment, je peignais ou gravais des natures mortes en me servants comme modèles des objets présents dans l’univers de l’atelier : « Bodegón à l’atelier », « Demain la lune sera bleue »...
Les représentations de l’avion avaient procuré la possibilité de jouer de l’espace (looping).
M. Brugerolles © 1990-2012 "Lotissement Malher" Eau-Forte sur zinc
Je cherchais d’autres pistes et souhaitais renouer avec la création de personnages. Dans mes gravures je mis en scène des danseurs et des avions à l’aspect de gros insectes « le bal de l’aviation », « le ballet farfelu », « la femme du pilote »…
Jusqu’à présent, mes gravures étaient plutôt minutieuses. Il fallait donc pour traduire le mouvement libérer le geste, lui trouver une plus large amplitude, moins de détails, jouer sur les profondeurs du trait, donner de la spontanéité. J’avais constaté que le travail du graveur sur métal , travail à l’envers, sans pouvoir effacer sécurise le geste. Le thème de la danse s’imposa pour libérer ces gestes.
L’univers musical des ballets russes donna une série. Les bals populaires, le tango m’ouvrirent de nombreuses possibilités de compositions : « Le ballet farfelu », « In the rock », « soir galant », « Ramona »… Ces recherches sur le mouvement me tiraient vers des références cinématographiques ou photographiques (Etienne-Jules Marey).
Parallèlement à la gravure, je fabriquais des petites boîtes en carton dans lesquelles je réalisais des petites peintures en souvenir de ces instants magiques et mystérieux passés au théâtre dans une loge latérale d’où l’on pouvait voir les coulisses.
***
Enfin, lors d’une précédente exposition dans laquelle je montrais un panachage de mes productions : dessins, objets, boîtes, peintures, gravures. Un visiteur me fit des compliments sur mes peintures de paysages. Je lui répondais que j’avais éprouvé beaucoup de plaisirs en les exécutant en raison de la liberté d’interprétation et d’exécution procurée par le sujet aux dispositions abstraites.
Je décidais de retrouver en gravure l’immédiateté du geste pictural, sa prise directe avec le support.
***
Mes thèmes génériques sont réunis. Ils se répondent aujourd’hui, se croisent, s’amendent, s’inventent les uns aux autres :
- Maison/Avion
- Natures mortes
- Danses et mouvements
- Paysages.
Il y a des reprises longtemps après, des prolongements, des relectures, des césures.
L’ensemble s’organise en fonction du moment, de l’envie, d’une rencontre, du temps disponible, d’une stratégie d’organisation. Je peux passer de l’un à l’autre grâce à cette petite mythologie personnelle qui, au fil du temps fait sens.
Mes thèmes et mes procédés engendrent leur « concordance des temps ». Vingt ans, trente ans après je peux revenir sur une gravure délaissée, pour la revisiter, la reconsidérer, la ressusciter.
***
Ce qui me singularise peut être, c’est que chaque série fait l’objet d’une expérimentation, d’une recherche nouvelle. La recherche d’une modernité à travers une tradition – De l’art de la conception à l’artisanat de la production.
Documentaire - Film réalisé par Estelle Brugerolles. Production Lazuli Films
Reportage Exposition "Libres Impressions" au MARQ - Film réalisé par Estelle Brugerolles. Production Lazuli Films