17ème Biennale de Varna - Bulgarie : la gravure chilienne
La Biennale Internationale de Varna, en Bulgarie remporte un réel succès auprès des artistes graveurs expérimentés. Il s'y expose en effet des oeuvres de grands formats et dont la qualité technique est reconnue par les experts du métier.
Après concertation avec le Directeur de la Biennale, onze artistes chiliens ont été sélectionnés pour représenter le Chili lors de la 17ème Biennale. Les oeuvres choisies ne représentent qu'un échantillon du travail des ateliers de Santiago et de Valparaiso. Le Chili encourage la renaissance de cet art graphique, notamment en appuyant l'existence de concours dont celui de l'Université du Chili : le concours national Marco Bontá.
Oeuvres choisies
© Virgínia Maluk
L'expérimentation est l'une des bases du travail de Virginia Maluk. C'est en observant qu'elle découvre les techniques les plus variées et les met en pratique. Dans Fertilité I, le jeu des couleurs se réfère à l'oeuvre du maître W. Hayter, cependant, la technique est appliquée sans rigueur excessive, le plaisir de jouer n'excluant pas de se laisser guider par sa propre intuition.
© Gladys Figueroa
Ils sont venus. Le temps d’un instant, davantage peut-être, ils ont discutés de choses importantes, de quelques futilités aussi. Et puis, ils sont salués : « Pense à m’appeler. Tchao ». Les chaises sont en désordre. La journée n’est pas terminée. Elle reste seule à regarder ce chaos.
La rhétorique de cette gravure de Gladys Figueroa confronte l’effet de profusion à la sensation de vide. La Réunion a eu lieu. L’animation est terminée et fait place peu à peu à la solitude. L'image exprime ce désir pulsionnel de la relation, non pas éphémère et frustrante, mais longue, constante et rassurante.
© Jorge Martínez
C'est toute la puissance des cieux que Jorge Martínez a concentré dans cette gravure à l'eau-forte. La nature déploie ses forces obscures. Le maître a gravé la plaque de cuivre en cherchant l’inspiration divine dans la creux des sillons. Il a parcouru un long moment son imagination inquiète. Les cumulonimbus, magistral, a étendu ses multiples sommets. Dans l’instabilité du temps, résonne la colère des Anges rebelles.
Víctor Maturana
« L’enfer, c’est les autres » a écrit Jean-Paul Sartre (1905-1980) dans sa pièce Huis-clos (vers 1943). Quand les jugements d’autrui encombrent le jugement que vous portez sur vous-mêmes, accrochez-les au porte-manteaux. Les mauvaises relations rendent en effet la vie insupportable tant nous avons besoin les uns des autres.
Tous les autres ou les autres, pour Victor Maturana ne sont plus que des silhouettes vidées de leur substance. Ils sont comme morts, même le jaune arborant l’image imprimée de Valparaiso. Par l’absurde, le philosophe parle de liberté, car chacun peut briser l’enfer dans lequel il vit en changeant ses actes par d’autres actes.
© David Contreras
La technique de l'eau-forte utilisée par les grands maîtres confère à la gravure de David Contreras une puissance hors du temps. L'énigmatique thématique de l'homme dans un tiroir au milieu d'une multitude de boulons et autres objets mécaniques, Trésors rangés, répond à un questionnement bien particulier.
© Cristian Castillo
L’idée d’une exposition autour du thème de l’eau a orienté Cristian Castillo vers la réalisation d’une oeuvre symbolique où le poisson devient le sujet principal. Cette gravure sur bois est présentée en trois panneaux, à la manière des triptyques du XIIème et XIIIème. Le Triptyque Hommage à l'eau fusionne des répertoires iconographiques anciens et actuels dont le décodage permet d'apprécier toute la subtilité du raisonnement de l'artiste.
L'ouverture faite aux jeunes talents
La maîtrise technique que nécessite la pratique de la gravure pour obtenir le raffinement, la somptuosité, et l'originalité si recherchées des amateurs d'estampe, requiert un réel talent. Et ce n'est pas dans l'inconstance que l'artisan d'art, l'artiste, peut acquérir la gestuelle, le doigté, ou le regard averti. Ce sont les qualités de ce travail que Ventzeslav Antonov, Directeur artistique de la Biennale, sait apprécier. L'ouverture faite aux jeunes talents chiliens est donc un signe d'approbation de leurs recherches artistiques, un encouragement à développer cette activité ancestrale et de la mener vers le renouveau actuel avec de nouvelles iconographies, parfois des innovations techniques, et l'expression libre.
© Roberto Acosta
De la fragmentation surgissent trois visages, apparitions éphémères qui tournoient dans l’espace. La scène laisse une sensation étrange de surnaturel. Qui sont ces esprits appelés par l’artiste ? Ils n’ont pas encore goûté aux offrandes qui montent vers leurs bouches closes. Seraient-ils rassasiés ? Éternellement insatisfaits ? Ces gloutons repus sont gravés sur la feuille de papier, dans l’Oeuvre II de Roberto Acosta.
© Hernán Gallardo
Par une projection dans le monde imaginaire des super héros, Hernan Gallardo trace un autoportrait aux pouvoirs magiques. Son approche dynamique et colorée simule l'ambiance ludique d'une scène de jeu et dans un Jour d'enfance. Le chat joue à cache-cache. Cupidon s'apprêtant à tirer sa flèche dans la chambre qui n'est pas celle de l'enfant, où planent d'autres rêves telle la Nuit de noces 1 que l'artiste a imaginée quatre ans auparavant. Les qualités narratives de ces gravures déclenchent une envie de découverte.
© Alejandro Silva
Pincoya est la petite sirène version chilote (de Chiloé, archipel situé au sud du Chili, en mapudungun Chillwe, le lieu des mouettes). Pincoya est une créature imaginaire née de Millalobo (lui-même engendré par l’union d’un lion de mer et d’une femme d’une grande beauté) et de Huenchula la fille très aimée d’une chaman nommée Huenchur. Ainsi pourrait commencer l’histoire : « Il était une fois ». La gravure d’Alejandro Silva invite au voyage imaginaire au pays des êtres mythiques.
Pincoya est une gravure à plaques multiples qui requiert de la dextérité. Les différentes formes s’imbriquent harmonieusement entre elles, créant une complicité entre la sirène et la lune. La beauté de Pincoya est signifiée par l’ornementation graphique contenue dans sa queue de poisson et sa chevelure ondulante. La position de ses bras accompagnant le galbe son corps crée l’impression qu’elle est portée par les eaux.
© Gerardo Saavedra
Les personnages : hommes, femmes, enfants, un chien, défilent en alternance avec les diablotins. Ils sont aveugles, obèses, handicapés moteur ; ils sont habillés ou dévêtus ; ils sont en famille, vont au bureau (table nappée sur lequel a été posé un bouquet de fleurs). Quand ils arrivent au bureau final, un homme à la tête de mort (l’oeil bandé) les reçoit assis, le pied sur la chaise.
La satire -critique moqueuse- fait rire le spectateur en leur donnant l’image volontairement déformée de la réalité. Le don de la parole que propose Gerardo Saavedra joue ce rôle de satire humoristique, elle ridiculise l’organisation sociale dans ses aspects les plus contrariants : faire la queue pour payer ses factures d’électricité, de gaz, d’eau, ou pour recevoir sa paie, est la réalité des citoyens qui ne peuvent pas faire ou recevoir de virements bancaires.
© Camilo Zepeda
La thématique de la xylogravure développée par Camilo Zepeda inaugure une ère nouvelle : celle des ordinateurs et autres media de communication de ces dernières décennies. L'artiste interroge quant au devenir des déchets que constituent ces nouveaux produits de consommation et pose ainsi la problématique de la Déchetterie et du recyclage.
La violence de la scène est accentuée par la présence d'une arme automatique qui pointe vers les vestiges d'une civilisation anéantie, et par la personnification du robot qui tente de se protéger la tête avec ses mains. Le désarroi qu'exprime le visage de cet humanoïde donne au scénario un genre dramatique.
Cécile Bouscayrol, commissaire d'exposition de la Délégation chilienne