En apprenant à dessiner II
Victor Femenias, Le daguet, dessin
Toute ma vie j'ai eu une obsession. J'ai toujours voulu apprendre à dessiner. Mais, qu'est-ce que cela signifie si, de fait, j'ai appris à dessiner très jeune, quand j'avais seulement treize ans ? Enfant, j'avais démontré une préférence pour le dessin, passant de longues heures à dessiner. À l'adolescence, je pouvais dessiner relativement « bien » ou de manière acceptable au dire de quelques personnes pratiquant un tant soit peu le dessin académique à cette époque et dans l'environnement culturel plutôt pauvre de ma ville natale. Alors, que signifie « apprendre à dessiner » ? Et bien, cette question nécessite un petit appendice afin d'en éclaircir le sens, donc, de cette manière dite « différente », du moins de celle d'aujourd'hui . Le titre serait donc « apprendre à dessiner... d'une manière différente », (le mot nouveau ne pouvant être utilisé puisque cela signifierait une manière nouvelle dans toute l'histoire de l'art et cela n'a jamais été mon propos).
Le propos, en plus d'exprimer un objectif, implique qu'il existe des manières différentes de dessiner. Généralement, cette autre manière se dénomme style ; mais le style est une façon de populariser et de consolider la reconnaissance universelle de sorte qu'il y ait une certaine « valeur » ou, certaine « supériorité », c'est également synonyme de marque commerciale ce qui impliquerait une sorte de « préférence » de consommation populaire, et cela n'a jamais été mon intention. -J'ai des doutes sur le fait qu'avoir appris de manières différentes soit meilleur ou pire que d'avoir toujours dessiné d'une seule manière-.
Cet objectif a été plus fort que toute autre chose. Il a prédominé sur toutes les nécessités primordiales de la vie, non sans que je ne m'en inquiète, y compris il m'a poursuivi dans les différents lieux où j'ai vécu bien que je dois avoué qu'il y a eu des périodes de réelles crises lors desquelles j'ai tenté d'abandonner le métier et de me dédier à autre chose plus lucratif et délectable, mais cela n'a jamais duré puisque l'inquiétude de dessiner revenait chaque fois avec davantage de force après chaque crise. De nombreuses fois j'ai résisté à la vocation, si l'on peut la nommer ainsi, mais tous les efforts ont été plus qu'inutile. Je peux dire qu'apprendre à dessiner de manière différente fut une obsession inconsciente qui a dominé toute ma vie et que jamais elle ne m'a permis d'être satisfait parce qu'aussitôt après avoir trouvé une manière différente de dessiner qu'émergeait l'urgence d'en entreprendre une autre. La joie résidait davantage dans l'aventure du processus lui-même que dans le résultat final. Et ainsi, successivement, ma vie a passé en dessinant d'une autre manière... contre vents et marées.
Victor Femenias, Trace de peinture
- Et de fait, j'ai appris à dessiner de nombreuses manières-. Alors, il faut interroger toute cette affaire qu'est l'art, mot que dans la mesure du possible j'évite pour les raisons suivantes : j'ai hérité de mon père d'une grande habileté manuelle, qui me procure encore des surprises, et un immense goût pour la beauté.
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L'habileté manuelle m'a permis de me livrer à des loisirs et des tâches difficiles, des travaux comme la reliure, la charpenterie, l'aéromodélisme, la mécanique de précision et d'autres qui m'ont servi à réparer beaucoup de choses et faire de l'artisanat sans problèmes techniques majeurs, incluant dessiner, peindre et surtout de pratiquer toutes les fascinantes et complexes techniques de l'estampe. Ma préférence pour la gravure plutôt que la peinture est dû au fait que la peinture m'a toujours parue trop spontanée, générant des résultats trop immédiats et peu épurés, tandis que la gravure me permettait de mieux élaborer et de réaliser de plus belles finitions. De plus, la gravure en blanc et noir est une application directe du dessin. Avec le temps, j'ai du intégrer la gravure en couleur acquérant davantage d'importance en raison de son développement mais c'est la forme qui dictait la couleur et non l'inverse, je veux dire que le dessin a toujours prévalu.
Le goût pour la beauté a été une véritable, forte et constante addiction qui m'a amené à visiter des musées et des galeries d'art avec une assiduité frénétique, en différentes villes et pays, et à profiter de la beauté sous tous ses aspects, tant celui du labeur humain que de la nature, ce qui a contribué à élevé constamment mes standards en art encombrant ainsi mes niveaux d'auto exigences. Mais, d'ici à avoir réussi à faire quelque chose de passable dans cette catégorie de production humaine appelée art, il y a un long chemin. Si ainsi cela fut, si mes recherches en dessin, peinture et gravure m'on fait … dans cette catégorie, je suis certain que cela ne concerne pas plus de deux ou trois réalisations. Il faut donc distinguer l'addiction pour la beauté et la capacité de la produire puisque ce sont deux phénomènes très différents et que, parfois, ils ne se complètent pas forcément.
Victor Femenias, Meuble en perspective, dessin
Cette capacité à produire ou générer de la beauté est indiscutablement liée à un autre mot que j'essaie d'éviter et qui est le talent. Je suis parfaitement conscient que je n'ai pas possédé le talent le plus grand de l'histoire de l'art de ce monde, comme beaucoup qui s'y dédie tendent à le croire d'eux-mêmes. Cela je le dois au fait que j'ai rencontré des artistes qui avaient bien plus de talent que moi et que je n'ai jamais oubliés. Aucun n'ont été européen ou américain, tous étaient orientaux, de grande humilité. De plus, nous qui nous dédions à ce métier nous avons des limitations naturelles et des caractéristiques dictées et imposées par notre propre environnement culturel. En tant que latino américain, je suis l'héritier du monde précolombien, du goût pour le grotesque et la grandiloquence, je suis l'héritier de toutes les limitations d'un petit pays pauvre, isolé du reste du monde, jeune colonie européenne, et pourtant de faible développement culturel. Tous les pays avec un sceau culturel bien défini se basent sur leur antiquité et mon pays en manque. Mais si j'ai quelque chose qui a fait de moi un privilégié -et il ne s'agit pas que de mon opinion-, car je l'ai entendu pour la première fois de la bouche de mon second plus important professeur de gravure, c'est ce qui se prénomme vol poétique... De cela, oui, j'en eu beaucoup au dire des experts.
Victor Femenias, Portrait de femme, dessin
Sans prétendre établir aucune comparaison avec le travail en lui-même, revoyons l'histoire de l'art, pour chercher des antécédents et, ainsi, comprendre un peu mieux de quoi il s'agit. D'abord, nous allons citer quelques grands dessinateurs, puis nous pourrons confirmer s'ils ont été des cas similaires. Le premier qui me vient à l'esprit, c'est Ingres qui sans doute fut l'un des meilleurs dessinateurs de tous les temps, de même que Rembrandt, Doré, Goya, Daumier, Dali, si nombreux qu'il serait fastidieux de les énumérer. Mais, tous dessinèrent de la même manière toute leur vie. Il semblerait que ce soit, un phénomène moderne puisque à partir des impressionnistes, des expressionnistes allemands, des surréalistes, il existe de nombreux exemples qui exercent le dessin de manières très diverses. Kandinsky, Miro, Gorky, Picasso, et tant d'autres, furent des peintres figuratifs dans toute leur production. En conclusion, je crois que dessiner de cette manière (de « manières différentes ») est très fréquent et que, définitivement, c'est un fait moderne qui est né avec l'avant-garde au début du siècle passé.
Victor Femenias, Trace de peinture
Pour terminer, avec le temps j'ai compris, entre autres choses, qui fut ma personne, comme tant d'autres, de perception un tant soit peu lente, pour le moins. Quand quelqu'un et forcément est apaisée pendant un moment, on peut la contempler en détail et commencer à la connaître surtout s'il y a plusieurs séances de dessin tentant de capter sa psychologie grâce à de simples lignes. De la même façon, quand on dessine en illustrant quelque grand thème cela mène à mieux le comprendre. Aussi, je peux dire que le dessin m'a aidé à percevoir un peu mieux le monde.
Comment j'ai eu du plaisir en parvenant à apprendre à dessiner..., de manières différentes tout au long de ma vie !
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Víctor Femenías von Willigmann