L'anatomie artistique
"L’anatomie est le principal fondement de la médecine" Ambroise Paré
Le corps est un volume constitué d’une structure, de formes et d’une surface : le squelette, les muscles et la peau. L’anatomie permet l’étude de la forme et de la structure de tout être vivant et celle des rapports des organes qui les constituent. Elle considère la forme extérieure sous son aspect esthétique ou athlétique.
Photo CB © Javier Brito
Les premières descriptions anatomiques connues apparaissent sur les papyrus égyptiens. Le plus ancien découvert, le papyrus Edwin Smith, à Louxor (Thèbes) en 1862 date de 3000 avant J.-C.
A l’époque hellénistique, Hippocrate (vers 460 ; vers 377 avant J.-C.) puis Aristote (348 ; 322 avant J.-C.) pensent que le cœur est le siège de l’intelligence. Aristote pratique l’anatomie comparée mais ne fait pas de dissection. Leur successeur Hérophile (335 av. J.-C. Chalcédoine, Anatolie ; vers 260-250 av. J.-C.) l’un des fondateurs de l’école d’Alexandrie est le premier à pratiquer la dissection de cadavres. Hérophile bénéficie en fait d’une liberté due à la curiosité des premiers Ptolémées. Il est accusé cependant d’avoir travaillé sur des hommes vivants, Tertullien le qualifie de « boucher » Les médecins qui vinrent après Hérophile jouirent que très rarement d’une telle liberté.
Au Moyen-Age, l’enseignement scolastique repose sur l’autorité d’Aristote et de Galien (131 Pergame ; 201 Rome) Les recherches individuelles sont interdites, ainsi que la dissection dont la pratique est un crime sévèrement puni.
Léonard de Vinci (1452 Vinci, Italie - 1519 Amboise, France) dissèque une trentaine de cadavres et dessine environ deux cents planches anatomiques. Dans ses carnets, Léonard de Vinci écrit « (...) Mais j’ai voulu aussi passionnément connaître et comprendre la nature humaine, savoir ce qu’il y avait à l’intérieur de nos corps. Pour cela, des nuits entières, j’ai disséqué des cadavres, bravant ainsi l’interdiction du pape (...) Ce que j’ai cherché finalement, à travers tous mes travaux et particulièrement à travers mes peintures, ce que j’ai cherché toute ma vie, c’est à comprendre le mystère de la nature humaine (...) » Son célèbre croquis l’Homme de Vitruve (vers 1492) représente l’unité des proportions humaines selon Vitruve. Ces planches sont publiées pour la première fois dans un Traité sur la Peinture.
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Science anatomique et discipline artistique se lient. L’intérêt de Michel Ange (1475 Câpres –1564 Rome, Italie) pour l’anatomie va au-delà d’une compréhension de la dynamique et la mécanique corporelles. Cela l’amène à pouvoir détourner la connaissance du corps humain au profit d’une quête esthétique.
L'étude de l’anatomie se développe aussi avec le médecin hollandais Andreas Vesalius dit Vésale (1514 Bruxelles, Belgique ; 1564 Zakynthos, Grèce) qui après avoir étudié les théories de Galien, écrit De humani corporis fabrica (à propos de la structure du corps humain) un livre novateur publié en 1543 et dédié à l’empereur Charles Quint. Mais l'inquisition espagnole accuse Vésale de montrer par ses dissections que la Femme a autant de dents et de cotes que l'Homme, et de remettre ainsi en question les vérités bibliques. Vésale meurt dans la solitude et la misère.
L’un des premiers amphithéâtres dédiés à l'enseignement de l'anatomie (1545) est construit à Padoue, en Italie, à l’initiative d’Hieronymus Fabricus (1537-1619) C’est un édifice spécialisé où les dissections ont lieu en public. L’étude de l’anatomie bien que subordonnée à des formalités peut être pratiquée par les médecins, médecins souvent artistes.
L'anatomie artistique un enseignement fondamental et actuel
Les différentes parties du corps sont étudiées par leur dissection. De Léonard de Vinci à Delacroix ou Matisse, de nombreux artistes ont eu le goût ou le dégoût de l’anatomie. Au XIXème siècle, l’anatomie est l’enseignement de base du dessin. Les artistes du début du XXème siècle ont étudié l’anatomie avec une liberté de plus en plus grande pouvant utiliser leur connaissance ou bien s’en détourner dans l’idée de développer leur intuition artistique personnelle, donner libre cours à l’improvisation. Quand Cézanne peint ses Grandes baigneuses, huile sur toile H.132 x L.219 cm, de 1900 à 1905, aucun modèle ne pose dans son atelier.
Foto CB © Javier Brito
Peu à peu, l’enseignement de l’anatomie devient presque obsolète, réservé à l’univers médical. Le récent clivage médecine art fait qu’il est remplacé par des séances de modèle vivant qui ne répondent pas toujours aux exigences de certains métiers d’art, la sculpture par exemple. Pourquoi donc étudier l’anatomie au XXIème ?
L’anatomie n’est pas une succession de dessins plus ou moins clairs. Elle n’est pas non plus une simple compilation de planches descriptives. L’étude de l’anatomie dans un souci de réalisme ? Non. L’étude de l’anatomie pour exprimer avec justesse ce qui est en moi ? L’étude de l’anatomie stimule l’observation pour qu’une relation soit établie entre la constitution intérieure du corps et la forme extérieure. La connaissance de la structure interne est une donnée déterminante qui devrait favoriser l’aisance avec laquelle l’artiste peut ou non s’exprimer.
Les artistes du XXème siècle ont voulu se différencier d’un académisme étriqué. Certes. Aujourd’hui, là n’est plus la question. Dans de nombreuses sociétés, l’artiste peut avoir le désir de peindre ce qui est beau, tout comme il peut avoir le désir d’observer ce qui est monstrueux, épouvantable ou ridicule, et le peindre. C’est une liberté d’expression.
L’anatomie artistique n’est pas un carcan mais plutôt une connaissance dont l’usage solidifie celui qui sait en voir les atouts. Elle enseigne de nombreuses indications sur la raison des formes extérieures et permet d’acquérir clarté et précision dans l’expression de ce qu’un artiste veut communiquer.
Photo CB © Javier Brito
En quoi consiste un cours d’anatomie artistique aujourd’hui ? L’attitude conventionnelle impose de dessiner l’homme, « immobile, debout, la tête droite, les bras rapprochés du tronc, l’avant bras en supination et la paume des mains tournée vers l’avant, les pieds rapprochés et se touchant presque du talon au gros orteil. » Cette nomenclature est devenue universelle. Les dessins anatomiques sont exécutés d’après deux points de vue : de face antérieure ou postérieure, de profil droit ou gauche, interne ou externe, tout point de vue intermédiaire ou de trois quarts étant évité. Ces dessins anatomiques réalisent une projection orthogonale qui supprime toute perspective et les déformations qui en résultent.
Le cours inclut l’étude de l’ostéologie et de la myologie qui permettent ensuite d’aborder celle du mouvement par rapport aux déplacements des différents leviers osseux ainsi que des puissances musculaires sollicitées. L’acquisition des mouvements élémentaires de chacune des parties du corps est une base de travail incomparable. Enfin, un cours d’anatomie artistique intègre généralement une étude des proportions du corps humain. Elle permet d’envisager des notions d’esthétique.
L’étudiant qui assimile de telles compétences est doté d’une solide connaissance globale non seulement de l’anatomie, mais aussi de la physiologie. Il peut alors s’approprier les paroles d’Auguste Rodin : « Il ne s’agit donc pas de créer. Créer, improviser, ce sont des mots inutiles. Il s’agit de comprendre… »
Photo CB © Javier Brito
Javier est un jeune étudiant de l’Ecole Des Beaux-Arts de Limache, au Chili. Il a suivi une formation artistique pendant quatre ans, il obtient cette année son diplôme de fin d’études. Javier a bénéficié d’un enseignement qui constitue aujourd’hui son bagage pour construire son avenir. Il a étudié l’anatomie artistique et nous présente quatre de ces planches claires et précises. La capacité de Javier à absorber les connaissances de ses professeurs, sans les juger obsolètes mais en les faisant siennes, dénote la confiance qu’il leur a accordée et la nécessaire curiosité d’esprit dont il est doté pour devenir un grand artiste. Ses compagnons de cours lui vouent déjà une certaine admiration et une tendresse grâce à laquelle nous avons pu le rencontrer.
L’enseignement des professeurs de l’Ecole Des Beaux-Arts a été bénéfique à Javier. Nous souhaitons une même bienveillance à l’égard de nombreux autres jeunes, et qu’ils grandissent en développant une personnalité épanouie et constructive.
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Cécile Bouscayrol