Trois dessins d'Auguste Rodin
Sources d'inspiration
Rodin (1840 Paris ; 1917 Meudon, France) collectionne les antiques provenant d'Egypte, de Grèce ou de Rome puis de l'Extrême-Orient. Amateur de vases grecs, il dessine vers 1900 la femme telle un vase. Il écrit « Je faisais des vases pareils à tous les autres, je n’étais pas arrivé à trouver une beauté de proportions et de lignes telle que je la pressentais, parce que je n’appuyais mes recherches que sur les combinaisons de mon imagination. Depuis j’ai dessiné des corps de femmes et l’un de ces corps m’a donné, dans sa synthèse, une superbe forme de vase, avec des lignes vraies, des rapports harmonieux. Il ne s’agit donc pas de créer. Créer, improviser, ce sont des mots inutiles. Il s’agit de comprendre… » Ses références à l’antiquité l’animent dès sa jeunesse et déterminent nombre de ses projets.
Rodin s’inspire également de la poésie. La lecture des Fleurs du mal de Charles Baudelaire (1821 ; 1867 Paris) et celle des chansons d’amour de Bilitis de Pierre Louys (1870 Gand, Belgique ; 1925 Paris, France) poèmes en prose publiés en 1894 empruntant à la poésie grecque ses genres : épigramme, élégie, et ses thèmes : passion, saphisme, que Claude Debussy (1862 Saint-Germain-en-Laye ; 1918 Paris) met en musique en 1897, inspirent à Rodin des dessins érotiques et d’autres de couples saphiques. Je vous propose d’observer trois de ces dessins conservés au musée Rodin de Paris qui en a aimablement autorisé la diffusion par notre revue moving-art, nous l’en remercions :
Le Couple enlacé ; crayon graphite et à l’aquarelle sur papier beige, H. 32.6 - L. 4.9 cm
Deux femmes nues enlacées vues de dos ; mine de plomb, aquarelle, H. 30.6 x L. 16.2 cm
Couple saphique ; crayon graphite, aquarelle et à la gouache, H 32.6 x L 25.1 cm
© Musée Rodin, Paris - D 4185
Rodin - Couple enlacé
La posture du Couple enlacé a été définie en une esquisse rapide donnant le contour des corps. Des hachures précisent les zones extérieures renforçant les contours. L’aquarelle a été déposée en deux ou trois coups de pinceaux en prenant soin de créer des zones lumineuses et des zones d’ombres. Quand Rodin estompe le crayon graphite, il donne du volume à son dessin. Les ombres des chairs peuvent aussi être obtenues en travaillant « dans l’eau » Cela consiste à déposer sur une teinte encore humide le contenu d’un pinceau chargé d’un ton un peu épais et soutenu de manière à ce qu’il se fonde sur ses bords. La femme a un ventre rebondi. Rodin a défini l’homme en esquissant son sexe et en simulant sa pilosité au niveau des jambes. L’homme enlace la femme de son bras droit. Leur chevelure a été peinte d’abord en brun Van Dyck puis rehaussée de terre de Sienne brûlée. Les couleurs chaudes utilisées donne à ce dessin un attrait particulier.
© Musée Rodin, Paris - D 5209
A. Rodin - Deux femmes nues enlacées vues de dos
Le dessin Deux femmes nues enlacées vues de dos sur papier beige représente une posture distincte, interprétation dérivée de l’observation attentive et régulière de modèles vivants. La couleur lui communique une force d’expression. Les contours rapides et synthétiques encadrent la couleur. Rodin a fait abstraction des détails et a défini les caractéristiques essentielles du mouvement dont l’exactitude dépend de la rapidité d’exécution. La morphologie féminine est suggérée : ventre rond, poitrine, pubis. Les mains et des pieds sont fines et gracieuses. La composition est singulière. Ces deux femmes nues sont dos à dos, l’une le bras gauche en perspective supporte le poids de l’autre qui s’abandonne. Les visages sont expressifs, ainsi que les mains les pieds. Les proportions sont équilibrées et anticipent le travail de sculpture.
© Musée Rodin, Paris - D 4052
A. Rodin – Couple saphique
Un bleu outremer définit le décor, aérien, du dessin le Couple saphique et pourtant, les deux figures féminines ont une force de présence incroyable. Est-ce la couleur transparente de leur corps ? La clarté du jaune indien rend plus proche ce corps gracile vu de dos tandis que l’autre corps s’éloigne. La femme gracile se penche vers l’autre femme au sein gauche et pubis suggérés. Le drapé est rehaussé de gouache, le pigment opaque participe à implanter ce drapé. Le trait ne respecte pas toujours la couleur, il est vif et crée une sensation de dynamisme. Rodin jette au sol les dessins et recommence, il les ramasse à la fin de la séance, les range dans des cartons et ne les remodèle ou les colorie que quelques jours ou plusieurs mois après.
« Les dessins sont la clef de mon œuvre. » Rodin
En transcrivant les contours de si nombreuses silhouettes, Rodin finit par ne plus regarder ni son crayon, ni son papier. Rodin ne gomme pas. Ses dessins sont instantanés. Après une longue pratique du dessin, l’artiste ne demande plus au modèle de poser mais d’évoluer librement. Pour donner davantage de volume à ses dessins, Rodin dès 1875 découpe des silhouettes, les assemble et les colle. Parfois il emploie le calque et ajoute un geste. Il suit son intuition, élabore des postures sophistiquées, complète parfois d’un détail dans un coin de la feuille. Lorsqu’il s’éprend des danses orientales en 1906, il dessine à l’aquarelle l’ondulation du mouvement des danseuses cambodgiennes. La femme devient peu à peu son unique modèle. L’inspiration du sculpteur dessinateur est infinie, il transforme le corps. La lecture est parfois multiple, selon l’orientation donnée au dessin qui peut aussi être regardé à l’envers. Son observation obsessionnelle l’amène à dessiner des couples érotiques, des couples saphiques, qu’il n’exposa jamais de son vivant.
Postedby
Cécile Bouscayrol